Comment faire de belles photos d’architecture ? Matérialité (4)

Pour compléter les trois premiers articles de cette série (cadrage, format et orientation, composition), nous allons nous intéresser aux matériaux qui composent les bâtiments et leur contexte. Nous verrons que ces matériaux ont des propriétés différentes qui vont influencer le rendu de la photo.

Reflets et transparence
Couleurs et textures
Nature et architecture
Conclusion

Reflets et transparence

Pour commencer cet article, je vais vous parler de ces matériaux qui réfléchissent. Le verre, l’eau et certains métaux se comportent comme des miroirs et nous offrent la possibilité de jouer avec la position des éléments et leur perception.

Une petite photo de la BNF pour changer !
La façade vitrée d’un immeuble pourra par exemple renvoyer l’image de son contexte et inclure dans la photographie une autre composante, lui donnant ainsi une profondeur supplémentaire. Il est donc important de se placer non seulement en fonction du sujet principal de sa prise de vue, mais aussi de faire l’effort de voir ce reflet qui peut être extrêmement puissant ou au contraire totalement disgracieux.

Selon le même principe, un plan d’eau suffisamment lisse sera en mesure de dédoubler l’image d’un bâtiment ou d’intégrer dans notre composition un objet extérieur. Parfois une bonne flaque suffit ! Une bonne raison de sortir faire des photos après une averse.

Bulle gonflable de Hans-Walter Müller Verrière du Grand-Palais
En dédoublant les éléments, les surfaces planes permettent d’insister sur les géométries notamment. Mais parfois les surfaces ne sont pas lisses, et les reflets déforment la réalité. Une occasion de donner un regard unique sur une construction et son environnement, de mettre un peu d’abstraction dans sa photo et de faire travailler l’imagination du spectateur !

Hamonic + Masson - Paris Masséna 14 Une vision personnelle de la Philharmonie de Paris. Architecte : Jean Nouvel
Les matières évoluent avec les conditions lumineuses, qui elles-mêmes changent en fonction de la météo, du moment de la journée (et donc de la position du soleil), de l’année mais aussi de l’utilisation des bâtiments (si des lumières sont allumées à l’intérieur ou si des stores sont baissés par exemple). Il est donc intéressant de revenir plusieurs fois au même endroit pour découvrir les édifices sous des visages différents et inventer des prises de vue que l’on n’avait ni imaginées ni remarquées d’abord.

De l’opacité la plus complète, le verre et certains plastiques deviennent translucides (ils ne laissent passer que la lumière et permettent seulement de distinguer les formes) ou transparents. De part leur nature, ils viennent créer une hiérarchie plus ou moins affirmée entre les différents plans de l’image. Jouer avec la superposition de ces multiples couches peut produire des résultats agréables et surprenants, et donner aux photographies un sentiment de profondeur.

L'arrière-plan de cette photo se dessine par quelques couleurs et contours On ne distingue presque pas le verre sur cette photo, de sorte que l'encadrement des fenêtres rythme directement le paysage
On observe un phénomène similaire sur d’autres matériaux selon leur degré de percement ou de perforation. Dans ce cas, l’angle avec lequel sera prise la photo sera d’autant plus important qu’il donnera à lire tantôt la transparence si je suis en face de la surface, tantôt l’opacité si je suis de biais par rapport à celle-ci. De même, plus le sujet est proche dans ma composition (par l’utilisation du zoom ou par son placement dans une perspective), plus il donnera à lire le vide.

Concrètement, voilà comment cela se traduit en image : sur la photo ci-dessous, le même garde-corps ne laisse pas passer le regard lorsqu’il est observé de côté alors que le second plan se dessine très franchement une fois la rambarde en face de l’appareil. Pensez-y !

Observez le lecture du garde-corps en fonction de son angle par rapport à l'appareil

Couleurs et textures

Parce que de nombreuses couleurs composent notre environnement, il est important de bien choisir celles que l’on intégrera à son image, et de quelle manière. Il ne s’agit pas de prendre en compte uniquement le bâtiment qui est photographié, mais de réaliser qu’autour de lui également, les choses ont une couleur. En règle générale, plus les couleurs qui composent la photo sont multiples, et plus il est difficile de les associer.

Se focaliser sur une, deux voire trois couleurs maximum facilite l’équilibre et l’harmonie du cliché, sans compromettre sa qualité. Je ne dis pas qu’il faut exclure d’office toutes les scènes aux nuances variées, j’attire seulement votre attention sur le fait que leur accord sera plus difficile à trouver.

Le Forum à Barcelone. Architectes : Herzog et de Meuron. Façade du parking de Charles Street surnommé "la râpe à fromage" (ou "le cube de sucre") à Sheffield. Architectes : Allies & Morrison
Un des éléments principaux étant susceptible d’intervenir dans vos clichés sera bien entendu le ciel. Lorsqu’il revêt son bleu le plus profond, il peut être un bel atout s’il est pensé en tant que tel. Mais si puissant, il peut attirer fortement le regard au risque de déstabiliser votre composition. On pourra alors le placer au tiers supérieur de l’image comme sur la première des deux photos ci-après (voir aussi la règle des tiers) ou le faire sortir complètement du cadre.

On peut aussi imaginer transgresser ces règles comme je vous invitais à le faire en conclusion de l’article précédent, et le placer sur un côté pour obtenir quelque chose de graphique. Sur la deuxième photo ci-dessous, le ciel est, par son reflet dans les vitres et l’absence d’autres couleurs, un des sujets de cette photographie. Le bâtiment semble faire partie de lui, se fondre dans ce décor et n’être en quelque sorte qu’un nuage supplémentaire.

Boulevard Davout / Rue Lagny. 70 logements collectifs sociaux et équipement. Architecte : Bernard Bühler Tour Mirabeau. Architectes : Pierre-Paul Heckly et Noël Le Maresquier. 1972
Chaque ciel aura ses particularités dont il faut savoir profiter. S’il est gris par exemple, il pourra laisser les couleurs du sujet s’exprimer pleinement. La lumière qu’il émettra sera douce, les nuages agissant comme un immense diffuseur. Dépourvu d’ombres marquées par un soleil puissant, les teintes du bâtiment auront tout loisir d’exprimer leur potentiel. C’est ce qu’illustre la photo de gauche ci-dessous.

À l’inverse, si le ciel se pare de multiples nuances au hasard d’un coucher de soleil, on peut vouloir mettre l’accent sur ces magnifiques dégradés. L’exposition de la photo se fera sur un ciel très lumineux par rapport à un contexte qui disparaît petit à petit dans l’obscurité. Il est possible de renforcer encore cet effet en prenant le cliché à contre-jour, de sorte que les silhouettes noires de la ville viendront se découper sur un fond coloré. À la tombée de la nuit, les lumières de la ville commencent à s’éclairer et donnent aux images une ambiance tout à fait unique.

Kinetik à Boulogne-Billancourt. Architectes : Sauerbruch Hutton. Skyline du parvis de la BNF au coucher du soleil. Pont Louis Philippe. Coucher de soleil sur la Seine et Paris
Comme les couleurs, les textures se liront mieux avec une lumière plutôt douce, diffuse, ou rasante. Une source lumineuse trop forte, comme un soleil au zénith, aura tendance à lisser les matières (ce qui peut être un effet recherché pour jouer plutôt sur les ombres et les formes) car les capteurs des appareils photo n’arriveront pas saisir correctement toute l’étendue de l’exposition, depuis les ombres très profondes jusqu’aux parties très éclairées.

Au contraire, la lumière plus légère d’un ciel nuageux, ou celle d’un lever/coucher de soleil, sera propice à mettre en avant l’aspect des matériaux. Pour rendre la finesse de la texture de la Tour de la Biodiversité ci-dessous (architecte : Édouard François), j’ai attendu que le soleil soit suffisamment bas à l’horizon afin qu’il souligne bien les micro-contrastes de cette matière. Soyez aussi attentif aux éclairages artificiels qui peuvent révéler des éléments inattendus, comme la subtilité de cette texture dans la base sous-marine de Bordeaux.

Tour de la biodiversité à Paris. Architecte : Maison Édouard François. Base sous-marine de Bordeaux

Nature et architecture

Enfin pour terminer cet article, je voudrais évoquer la relation qu’il peut exister entre nature et architecture. J’aime personnellement beaucoup associer les deux, soit pour souligner leurs similitudes, soit pour montrer leurs différences. Dans un cas comme dans l’autre, il est possible de s’appuyer sur les formes, organiques ou géométriques, les matières, naturelles ou artificielles, les couleurs

Dans l’article précédent, je détaillais une photo d’un arbre à l’automne devant la BNF, en expliquant comment j’avais intégré le végétal à ma composition. J’avais opposé les lignes droites de la BNF aux formes souples des branches, et je m’étais appuyé sur la tonalité des couleurs pour établir le parallèle entre la plante et la construction.

Si vous ne voulez pas donner l’impression que vous avez subi la présence de la végétation, vous devez l’intégrer à votre image pour que la plante devienne une partie du message que communique votre photo. Sinon, essayez de vous déplacer ou tentez un cadrage plus serré pour faire disparaître les végétaux qui perturbent votre composition.

Dans les deux images ci-dessous, j’ai joué avec les directions que suggèrent les bâtiments et la végétation, et pour enrichir la photo, je me suis aussi appuyé sur la présence humaine. Sur le premier cliché, la personne en blanc est au milieu de l’espace vert, et sa couleur renvoie à celle de l’édifice et du ciel. Sur la seconde c’est l’inverse, le joggeur est en vert, comme les arbres qui l’entourent, et il se détache du bâtiment blanc en fond. J’aurais l’occasion de revenir sur l’intégration des individus dans vos clichés dans un prochain article.

Parco del Portello / Gino Valle Square. Architectes : Charles Jencks, Andreas Kipar / Valle Architetti Associati Philharmonie de Paris. Architecte : Jean Nouvel.
Un dernier exemple avant de conclure cet article, cette photo de maisons mitoyennes au Havre réalisées par l’atelier Philippe Madec. On peut voir d’une part que les bâtiments et la pelouse soulignent l’horizontalité de l’image, et d’autre part la complémentarité entre les teintes orangées des façades et le vert du gazon. Enfin les lignes verticales de l’image à gauche et à droite (les lampadaires et les arbres qui se font écho) viennent former un cadre sur le sujet de la photo.

atelierphilippemadec - Le Havre 5

Conclusion

Les bâtiments et leur environnement regorgent de couleurs et de textures qui peuvent être exploitées pour faire de belles photos d’architecture. Entraîner son regard à les voir, les connaître, les sélectionner et les rechercher vous permettra d’arriver à des résultats que vous n’auriez pas soupçonné avant. Apprenez à jouer avec les reflets et à profiter des lumières changeantes, à repérer les potentiels et à vous déplacer (vous baisser parfois!) pour obtenir exactement le résultat que vous espérez.

Et comme toujours, n’hésitez pas à revenir vers un endroit qui vous aurait semblé intéressant mais qui n’avait pas la lumière escomptée (certains sites et applications permettent de prévoir la position du soleil à un moment donné comme Suncalc par exemple). Tournez autour de votre sujet jusqu’à trouver le point de vue qui mette en valeur tous les éléments que vous souhaitez photographier. Essayez, et si vous ne trouvez pas, passez à un autre sujet, il y en aura bien d’autres !

Merci une nouvelle fois d’avoir lu cet article. J’ai encore de nombreuses idées pour vous parler de photo d’architecture (lumière, humain, matériel, lieux, traitement, références..), j’espère que vous ne vous en lasserez pas !