Comment faire de belles photos d’architecture ? Lumière (5)

Photographier, c’est écrire avec la lumière. (du grec photos : lumière et graphein : peindre, écrire)

L’architecture est le jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière. Le Corbusier

Dans ce 5e article, je vous propose d’approfondir le rôle de la lumière dans la photographie d’architecture. De manière sous-jacente, il en a été question précédemment. Nous reviendrons et détaillerons ici ses apports, et de quelle manière elle transforme l’image.

Mais la lumière en photographie c’est un puits sans fond ! Le sujet est immensément vaste, les angles d’approches innombrables. Mon but n’étant pas de vous noyer dans une avalanche d’informations, je me restreindrai à la manière dont elle peut être utilisée pour représenter l’architecture.

Ombres et transparences
Soleil et météo
Lumières nocturnes et artificielles
Conclusion

Ombres et transparences

Pour commencer, j’ai choisi d’aborder la question de la lumière en la définissant à l’aide de son contraire : l’ombre. On pourrait croire de prime abord que la photo ne va montrer que ce qui est éclairé. En réalité les ombres, parce qu’elles contrastent avec le reste de l’image, participent autant si ce n’est plus à la représentation d’un espace.

Rudy Ricciotti - MUCEM 9Centre culturel Le Rocher de Palmer à Cenon. Architecte : Bernard Tschumi
Sur les deux images ci-dessus, on voit bien l’importance des ombres qui renforcent les caractéristiques de ces espaces. Si vous pouvez jouer sur leur perception en changeant votre cadrage, le facteur principal de ces clichés restera le moment de la prise de vue. Il n’y aura pas d’autre astuce que d’attendre l’instant propice pour la photo.

Notre œil sera attiré par ce qui est différent, ce qui créé l’exception : les parties sombres dans un univers lumineux, et inversement. Et cela serait tout aussi vrai avec des couleurs qui s’opposent ou avec une différence qui rompt une uniformité par exemple. Pour bien saisir le contraste d’une situation, il faut trouver l’équilibre entre l’élément qui définit la trame de fond, et celui qui en créé la rupture.

BeaugrenelleSANAA - Louvre Lens 7
Mais tout n’est pas tout noir ou tout blanc ! Sur le même principe, la lumière peut se transformer en traversant ou en se réfléchissant sur des matériaux. Par exemple, elle pourra prendre une couleur, comme la première des deux photos ci-dessous.

Sur la seconde, la lumière qui éclaire la scène est en réalité reflétée par une façade vitrée derrière moi ! Les ombres qui sont projetées sur le bâtiment que je photographie correspondent en réalité aux montants des fenêtres et de la structure de la tour dans mon dos. C’est un cas un peu extrême, mais dans beaucoup de situation on peut profiter des réflexions lumineuses dans notre image.

Hamonic + Masson / Comte & Vollenweider - Paris Masséna 11Passage de l'Arche. Architecte : Jean-Pierre Buffi
Si, par leurs formes, les ombres et les transparences renforcent la géométrie d’une photo, elles aident aussi à donner de la chaleur à une image. En effet notre cerveau décrypte derrière eux la présence du soleil.

La tonalité du cliché participera également de cet effet, le bleu étant associé au froid et le jaune au chaud. Le moment de la journée et de l’année auquel on viendra prendre la photo jouera donc un rôle important dans notre image, la lumière variant au fil des heures et des jours.

Soleil et météo

Il existe deux moments particulièrement prisés par les photographes : les heures bleues et les heures dorées. Ces quelques minutes aux extrémités de chaque journée présentent des conditions lumineuses susceptibles de prendre un rôle important dans la qualité d’un cliché.

L’heure bleue est ce temps situé entre le jour et la nuit où le ciel se remplit d’un bleu profond. Sa durée réelle oscille en réalité autour d’une trentaine de minutes le matin et autant le soir. L’heure dorée vient juste après le lever du soleil et juste avant son coucher. Pendant une demie heure à trois quarts d’heure, le ciel peut changer de teinte très rapidement, en l’espace de quelques instants. Soyez bien préparé et très attentif !

Porta GaribaldiCoucher de soleil sur la Tour Eiffel et la Défense
Des sites comme Suncalc, dont je parlais à la fin de l’article précédent, permettent d’anticiper ces moments en fonction de sa position et du jour de l’année.

Pendant ces périodes, la lumière émise par le soleil sera moins puissante, les ombres plus étirées et les contrastes plus doux. On peut s’en servir pour souligner la matière de certains bâtiments par exemple. Un ciel voilé sera une situation encore plus extrême car les nuages diffuseront largement la lumière, devenue très douce, et feront disparaître les ombres. Je ne m’attarderais pas sur ces conditions que j’évoquais déjà dans l’article sur la matérialité.

En fonction de l’intensité de la lumière, de la position du soleil, de l’orientation des éléments photographiés et de l’appareil, on pourra soit révéler des éléments dans une scène moins contrastée, soit au contraire en masquer certains. Dans la première photo ci-dessous, le soleil étant voilé, j’ai pu saisir suffisamment de détail dans toutes les parties de l’image. Il n’y a pas trop de différences entre les parties lumineuses et celles plus sombres, le capteur de l’appareil les a correctement représentées. La seconde photo représente l’extrême inverse : le contre-jour.

Fondation Prada 1. Architecte : OMA / Rem KoolhaasPhiladelphie - Le soleil entre deux immeubles
On pourrait pallier aux difficultés de l’appareil à rendre les scènes très contrastées grâce à une technique que l’on appelle le HDR. Grâce à un logiciel spécialisé ou au mode approprié de son appareil, plusieurs images vont être assemblées en une seule pour que toutes les parties de l’image soient correctement exposées. Je ne développerai pas ce point car je trouve que les images ont un aspect trop artificiel, et qu’il est souvent laborieux d’arriver à un résultat satisfaisant.

Lumières nocturnes et artificielles

La nuit donne un cadre tout à fait différent aux architectures. La lumière du soleil est remplacée par celles artificielles des réverbères et des néons. Des parties différentes de l’environnement bâti sont mises en avant. Là où les vitres reflétaient le contexte, elles disparaissent ou donnent à voir l’intérieur des bâtiments à la faveur des lampes qui ont été allumées.

New-York - Vue de nuit
Les lumières artificielles révèlent également les espaces sous de nouvelles couleurs. Parfois elles ont des teintes relativement évidentes comme les néons des enseignes ou de certains édifices publics (comme le montre la première des images ci-dessous). Parfois une photo combine plusieurs éclairages qui ont des tonalités différentes. On parle de température de couleur, ou encore de balance des blancs.

La lune par exemple produit une lumière bleutée, certains lampadaires tendent plutôt vers le jaune, ou vers le vert. En les associant on peut obtenir des résultats assez surprenants, car là où nos yeux s’adaptent aux variations, l’appareil lui ne témoigne que d’une seule balance des blancs. C’est ce qu’illustre l’image de droite ci-après prise depuis le sommet de la Tour Montparnasse.

C'est beau Londres la nuitRue de Rennes et église St-Germain-des-prés depuis la tour Montparnasse
La nuit, la lumière disponible étant moins importante, il faut trouver une solution pour que l’appareil puisse en capter suffisamment pour exposer correctement la photo. On peut augmenter la sensibilité ISO de son appareil mais l’image sera moins précise et aura du bruit. S’il y en a un peu, cela peut donner un grain à la photo, mais s’il y en a trop, on ne verra plus que ça. La limite dépend des capacités de votre appareil, de la scène et de la manière dont vous souhaitez la représenter.

Ou alors on peut allonger le temps de pose, et il faudra bien souvent soit un trépied, soit un support pour stabiliser l’appareil (un muret ou un banc par exemple, car il est difficile de rester parfaitement immobile plus de quelques dixièmes de secondes).

L’avantage du trépied est de pouvoir être placé où vous en avez besoin (ou presque, on aimerait parfois se mettre au milieu de la route… mais restons prudents !), son inconvénient est le poids supplémentaire qu’il faut transporter. Toutefois si vous avez un appareil léger, il existe des solutions d’appoint un peu moins flexible mais qui se glissent plus facilement dans un sac, comme le Gorilla Pod.

Pont Louis Philippe - 4 minutes F/8 ISO 400
Plus le temps de pose sera long, plus les éléments mobiles seront flous. Les piétons iront jusqu’à disparaître de l’image s’ils se déplacent et que l’image est prise sur plusieurs secondes. Les nuages donneront l’impression d’être en mouvement, la surface des cours d’eau deviendra lisse. C’est ce que montre l’image ci-dessus qui a été exposée 4 minutes.

S’ils émettent une lumière, ils pourront laisser une traînée sur l’image, comme les phares des voitures. On peut rechercher cet effet pour guider le regard et donner une dynamique à une image, ou pour suggérer le mouvement.

Edouard François - Tour de la Biodiversité M6B2 à Paris - 14Gardons notre âme d'enfant. Jardin des Tuileries
Sur certains objectifs, on peut ajouter un filtre qui va diminuer la quantité de lumière captée afin d’augmenter le temps de pose. On l’appelle le filtre Gris Neutre (ou ND), il y en a de différentes intensités, et ils permettent de renforcer les effets décrits précédemment. À la nuit tombée, on peut toutefois réussir de beaux clichés sans y avoir recours !

Pour finir…

En architecture, la source lumineuse principale étant le soleil, il faudra bien souvent s’armer de patience pour réussir des clichés exceptionnels. Aujourd’hui, si des outils existent pour anticiper sa position et la météo, on ne peut pas vraiment prévoir quelles seront les conditions exactes d’une prise de vue. Il ne faut alors pas hésiter à revenir à différents moments, pour observer les changements de la lumière sur les bâtiments !

En produisant des ombres, des contrastes, des couleurs, la lumière doit être directement prise en considération dans la composition des images. Si ces effets ne sont pas tangibles comme le serait la surface courbe d’un mur par exemple, ils peuvent être très visibles sur nos photographies. Dès lors il ne faut pas subir leur présence, mais jouer avec comme avec tous les autres éléments qui composent notre cliché.

Ils seront alors à même de donner, de restituer ou de transformer le volume ou la matière par exemple. La dernière photo ci-dessous en est l’exemple : alors que la frontalité du sujet tend à mettre tous les éléments sur le même plan, l’ombre portée montre que les fenêtres sont en débord de la façade.

Je n’ai pas abordé le sujet du flash, peu adapté aux grands sujets, même s’il peut s’avérer précieux pour les scènes intérieures (mais cela dépasse, à mon sens, le cadre du loisir). J’espère toutefois que cette rapide initiation à la lumière en architecture vous aura intéressé, et j’espère vous revoir bientôt pour un nouvel article ! En attendant, n’hésitez pas à lire ou relire ceux que j’ai déjà rédigé.

Le Pink Flamingo de Stéphane Maupin à Paris