Comment faire de belles photos d’architecture ? L’humain (6)

Dans ce nouvel article, je souhaite vous détailler un autre aspect de mon métier de photographe d’architecture, auquel on ne pense pas toujours de prime abord. L’utilité de montrer l’architecture en intégrant aux images les personnes pour qui elle est conçue, ou qui la côtoient au quotidien. S’il est possible, et parfois judicieux, de prendre des photographies dépourvues d’éléments extérieurs, on peut au contraire vouloir intégrer les figurants de ces constructions. La volonté de les représenter peut émerger de préoccupations variées, et la méthode pour y parvenir sera par conséquent différente. Entrons dans le vif du sujet.

Donner l’échelle des constructions et des intérieurs
Renseigner les usages
Une photo graphique avec une part d’abstraction
Choisir son point de vue pour améliorer ses photographies d’architecture
Pourquoi la photographie d’architecture a besoin des hommes

Donner l’échelle des constructions

L’architecture est une construction par l’Homme et pour l’Homme (en général), et lors de sa représentation, notre regard décrypte les éléments qui composent la photographie pour comprendre l’édifice devant l’objectif.

Souvent, des éléments familiers nous servent de repères pour appréhender la dimension des volumes : une fenêtre, une marche d’escalier, une porte, un élément de mobilier… L’ordre de grandeur de ces objets étant connu, notre esprit rapporte leur taille au reste de l’image.

L’être humain peut aussi être un indicateur de l’échelle d’un bâtiment. Sa silhouette est facilement identifiable et permet ainsi une lecture rapide et efficace du cliché. Sur les deux photographies de bâtiment ci-après, les personnages permettent de saisir la taille de ces constructions rapidement.

Château de PragueStade Arena Nanterre - La Défense. Architecte : Christian de Portzamparc
La position de la personne dans l’espace et la focale utilisée auront un impact sur cette perception. Tout le monde s’est déjà amusé à faire tenir un monument dans sa main en se jouant de la perspective. Avec un téléobjectif on va donner le sentiment que les plans se rapprochent : dans la première des photos ci-dessous les 800 mètres entre le footballeur et l’église, combinés à une focale équivalente à un 150mm plein format, donne l’impression que leur taille est similaire. Au contraire, le grand-angle semblera les éloigner : sur la deuxième image, le bâtiment et la personne en bleue occupent la même place sur l’image en utilisant un 17mm.

84 Arcs / Désordre 2013. Artiste : Bernard Venet. MarseilleAtelier Kempe Thill + FRES architectes - 50 logements à Paris
J’abordais cette question dans un article précédent, et je voulais souligner ici comment il était possible d’utiliser la perspective et son matériel pour composer son image. La place qu’occupe les différents éléments de vos photographies sera importante pour sa lecture, et donc pour le message que vous souhaitez faire passer.

Renseigner les usages

La seconde information que pourront communiquer les figurants de vos prises de vue est l’usage des lieux que vous photographiez. Si les protagonistes de votre image disposent de caractéristiques identifiables, ils aideront à comprendre dans quel but les espaces ont été conçus. Il peut s’agir par exemple d’enfants dans une aire de jeux, d’employés de bureaux, de visiteurs…

Pôle œnotouristique Viavino – Lunel. Atelier Philippe MadecPassage de l'Arche. Architecte : Jean-Pierre Buffi. 1990. La Défense / Puteaux
Attention toutefois à la destination de vos images (cercle privé, publication,…) si les personnes sont reconnaissables. On peut contourner ce problème en floutant le visage avec un logiciel, mais le résultat est peu satisfaisant car très artificiel. Il faudra alors trouver une solution pour préserver l’anonymat des figurants à la prise de vue. Le plus simple est par exemple de les photographier de dos ou de profil.

S’ils sont en mouvement, un temps de pose faible retranscrira le mouvement et les floutera naturellement (inférieur à environ 1/20s pour un piéton, 1/100s pour un cycliste…), mais attention à garder le reste de votre image nette ! Si le temps de pose est trop bas, on aura recours au trépied (ou à tout autre support permettant de stabiliser l’appareil) en déclenchant au moyen d’une télécommande ou du retardateur (plus compliqué à utiliser car moins précis sur le moment exact de la prise de vue) pour ne pas faire bouger l’appareil au déclenchement.

Gare de Lisbonne Oriente. Architecte : Santiago Calatrava. 1998Logements Paris Boucicaut. Brenac + Gonzalez & associés
La durée de la prise de vue aura également une influence sur le rendu de l’image. De la silhouette parfaitement nette avec un temps de pose court, elle deviendra progressivement floue jusqu’à disparaître si la prise dure plusieurs secondes. Sur l’image à droite ci-dessus, le temps du cliché de 5s a effacé partiellement la femme qui attendait au passage piéton, alors qu’elle était pourtant presque immobile. Sur l’image de gauche, la personne de face n’est pas reconnaissable (1/15s) et retranscrit l’idée du mouvement : l’architecture de la gare vécue par ceux qui la pratiquent, parfois pressés.

Une photographie plus abstraite, plus graphique

Les choix techniques de votre prise de vue (temps de pose, point de vue, focale…) ont un impact direct sur la manière dont les figurants de vos photographies seront représentés, comme je l’expliquais avant.

La lumière, sous ses différentes formes, naturelles et artificielles, a également un rôle déterminant. En effet, votre sujet peut être correctement exposé et vous en saisirez alors tous les détails, ou vous pouvez jouer avec ce que les sources lumineuses vous proposent : ombres, contre-jour, contrastes, reflets…

Figer le temps. Musée d'Orsay à Paris. Architectes : Renaud Bardon, Pierre Colboc et Jean-Paul Philippon (ACT Architecture)Fondation LVMH, installation de l'artiste Olafur Eliasson
On peut, par exemple, profiter d’un coucher de soleil pour faire apparaître des silhouettes, ou utiliser les différences d’intensité d’éclairage entre l’intérieur et l’extérieur (comme sur l’image de gauche). Il faudra alors régler l’appareil pour effectuer la mesure de la lumière sur un point précis que l’on veut exposer correctement (mesure spot), ou décaler l’exposition (on parle de correction d’exposition) qui, par défaut, a tendance à faire la moyenne sur toute l’image.

La place de votre sujet dans l’image jouera un rôle important. On peut se souvenir de la règle des tiers, par exemple, pour déclencher au moment opportun, à l’instant où la personne est placée à l’endroit voulu dans l’image (il faut parfois s’armer de patience). Il est également possible d’utiliser les lignes directrices de l’architecture et des effets qu’elle produit (ombres, reflets, contrastes..) pour guider le regard vers une personne, comme dans l’image ci-après.

MUDEC - Museo delle Culture. Architecte : David Chipperfield. Milan
Mais bien entendu, au-delà des réglages de l’appareil, les personnes que vous choisissez de prendre en photo auront aussi un impact sur l’image. Qui ils sont (hommes, femmes, enfants…), comment ils sont habillés (couleurs, types de vêtements…), ce qu’ils font… Quel dialogue établissent-ils avec l’édifice, quel jeu graphique mettent-ils en place, quel dynamisme ou quelle stabilité apportent-ils à l’image ?

Marches de la Défense. Architectes : Otto von Spreckelsen, Andreu, RiceMuseo del Novecento. Architectes : Italo Rota, Fabio Fornasari. Milan

Choisir son point de vue pour améliorer ses photographies d’architecture

Pour terminer, les figurants peuvent, dans certaines situations, donner des indications sur le point de vue depuis lequel est prise la photographie.

Cloud Gate. Artiste : Anish Kapoor. ChicagoMusée des Confluences. Architecte : Coop Himmelb(l)au Wolf D. Prix & Partner. Lyon
En effet, particulièrement lorsque l’image détourne les codes classiques des prises de vues architecturales (où il faut faire attention à garder les lignes verticales des édifices bien parallèles aux bords du cliché), il arrive que l’on puisse manquer de repère pour comprendre ce qui est représenté.

Dans la première des images ci-après, la présence des personnages nous dit que le photographe (en l’occurrence moi!) était placé en dessous d’eux et regardait vers le haut. En compliquant un peu la réflexion (c’est le cas de le dire…), on peut aussi jouer avec les éléments réfléchissants, comme avec ce miroir placé au-dessus de nos têtes dans la photo de droite.

Pavillon Royaume Uni. Artiste : Wolfgang Buttress. Exposition universelle. Milan. 2015Pavillon Russe. Architecte : SPEECH. Exposition universelle. Milan. 2015

Pourquoi la photographie d’architecture a besoin des hommes

L’Homme apporte à l’image des informations que l’architecture ne peut parfois pas retranscrire seule et établit un dialogue avec l’édifice. Parce qu’il devient un composant du cliché, qu’il y prend une place, ses particularités influencent la composition et méritent que l’on y porte notre attention.

Il peut jouer un rôle secondaire, ou devenir le principal protagoniste et reléguer le bâtiment dans un rôle de contexte. Dans certains cas il renforce la compréhension des espaces, et parfois il apporte un dynamisme à l’image. Composer sa photo d’architecture et choisir ses figurants revêt alors une importance capitale.

J’espère que cet article vous aura intéressé, à vous d’y greffer votre propre sensibilité et de détourner les conseils que j’ai pu donner, pourquoi pas en donnant aux animaux, aux véhicules, un rôle dans vos images ?

Le Volcan. Architecte : Oscar Niemeyer. Le HavreLever de soleil sur Le Havre, quartier Montgaillard / rue de la Bigne à Fosse